Les Directives Anticipées vues par les personnes âgées

Résultats de l'étude réalisée entre 2009 et 2010 par le Centre d'Ethique Clinique de l'Hôpital Cochin de Paris

Publié le 11 octobre 2011

La loi du 22 avril 2005, dite « loi Léonetti » sur la fin de vie et les droits des malades a introduit la possibilité de rédiger des directives anticipées.


Notion de "Directives anticipées"

Le concept, inspiré des pays étrangers, vise à ce que la personne malade ou non écrive ce qu'elle attend de la médecine dans le cas où elle ne serait plus en état d'exprimer sa volonté.

Ces « directives » n'ont pas force obligatoire pour l'équipe en charge du malade, mais le médecin doit en tenir compte dans sa décision, plus encore que de l'avis de la personne de confiance ou des membres de la famille.

Le dispositif s'applique essentiellement au contexte de fin de vie et s'inscrit dans la tendance récente à la valorisation de l'autonomie du patient.


Idées-forces se dégageant de l'étude

Cette étude, réalisée par le CEC de l'Hôpital Cochin, permet de dégager les tendances suivantes :

- une méconnaissance du concept et un désintérêt très prononcé pour les Directives Anticipées (DA) :

" [...] 90 % des personnes enquêtées - hormis les membres de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD) - ne connaissent pas le concept [...] "
" [...] 83 % des personnes enquêtées se disent non intéressées [...] "
" [...] 36 % d'entre elles trouvent même que c'est une mauvaise idée [...] "

- des raisons complémentaires de s'intéresser aux DA :

"Il s'agit souvent d'arguments cumulatifs : c'est moi qui décide de ma fin de vie (80%), je le fais pour que la décision ne pèse pas sur mon entourage (20%), pour guider la médecine (10%), parce que je suis seul et que je ne peux compter sur personne pour dire à ma place le moment venu (5%), pour ne pas souffrir (5%)."

- un profil particulier des personnes intéressées par les DA, désireuses de décider jusqu'au bout :
"[...] ceux qui sont intéressés par les directives anticipées se caractérisent tous par une même forme de personnalité que l'on pourrait qualifier de particulièrement « autonomiste »."

- un intérêt plus marqué des femmes pour les DA :
" [...] 70% de ceux qui sont intéressés par les directives anticipées et 90% de ceux qui disent qu'ils souhaiteraient une aide active à mourir au moment ultime sont des femmes".

- Au-delà des DA, une préoccupation plus forte pour le sens de la vie :
" [...] la préoccupation la plus forte de tous ceux que nous avons rencontrés concerne le sens de la vie qui reste et non le sens de la mort."
[...] 70% ne s'expriment pas vraiment sur leur mort.
[...] 40% ne répondent pas sur « euthanasie » et 40% de ceux qui s'expriment à ce sujet sont contre une loi.

- le souhait de certains de pouvoir s'exprimer sur la notion d' « aide active à mourir » :
" [...] ils sont 10% de la population générale (60% des adhérents de l'ADMD) qui s'expriment dans le sens d'une « aide active à mourir ».
Ceux-là, pour la plupart adressent cette demande à la médecine : ils voudraient que les médecins puissent leur délivrer la mort en toute fin de vie, dans le cadre de leur exercice quotidien et de leurs bonnes pratiques, comme si cela faisait partie de leur fonction naturelle."

- la volonté de s'exprimer sur la fin de vie :
" [...] d'autres sont prêts à exprimer des choses importantes concernant leur fin de vie, dont ils pensent qu'elles ne relèvent pas de directives anticipées, mais qui pourraient tout à fait à notre avis en relever comme par exemple : « Je veux de l'acharnement thérapeutique », « Je ne veux pas d'arrêt d'alimentation et d'hydratation », « Je veux donner des directives de vie : surtout jamais de maison de retraite » ...


PRESENTATION DE L'ENQUÊTE DU CEC

Origine de l'étude

L'étude a été mise en place par le Centre d'Ethique Clinique de l'Hôpital Cochin (CEC) qui existe depuis 2002.
Ce centre est à la disposition des patients, proches de patients, équipes médicales lorsqu'une décision éthiquement difficile est à prendre.

Dans le cadre de son activité, le Centre a été sollicité à plusieurs reprises par des personnes lui demandant de l'aide pour rédiger des directives anticipées.
Il a aussi été interpellé par des médecins, cancérologues ou cardiologues par exemple, qui se demandaient comment et quand aborder ce sujet avec leurs patients.

Ces divers éléments combinés l'ont poussé à initier cette étude.
Il a choisi de la limiter aux personnes âgées de plus de 75 ans dans un souci d'homogénéité de l'étude, mais aussi parce que depuis plusieurs années il travaille plus spécifiquement sur la vieillesse.
La question qu'il a cherché à approfondir au cours de ses différents travaux est celle de savoir si la médecine en fait assez, ou trop, dans la prise en charge des personnes âgées, et ce qu'elles en pensent, elles qui sont les premières concernées.


Objectif de l'étude

L'objectif de cette étude était de mieux comprendre ce que les personnes âgées de 75 ans et plus ont à dire sur les directives anticipées (DA), en même temps que sur leur fin de vie et les conditions de leur mort.


Méthode de l'étude

L'étude a été menée sur un échantillon aussi diversifié que possible pour être illustratif de cette population.

C'est pourquoi il s'est attaché à comprendre à la fois des personnes a priori en bonne santé et encore très inscrites dans la vie active, des personnes gravement malades, des personnes moins malades mais nécessitant une aide quotidienne à domicile, des personnes auxquelles avait été annoncé depuis quelques mois un diagnostic de maladie de Alzheimer et enfin des personnes vivant en maison de retraite publique ou privée.

En cours d'étude, le besoin s'est fait sentir de pouvoir se référer à un groupe qui connaissait les directives anticipées et en avaient rédigé, car les personnes rencontrées jusque là montraient une méconnaissance quasi totale du dispositif.

C'est ainsi que l'échantillon étudié a été complété par un groupe de personnes, membres de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), association qui attire ceux qui souhaitent anticiper sur les conditions de leur mort et sont tentés de les organiser.

L'étude a consisté en des entretiens toujours menés au moins par deux membres du CEC, d'environ trois quarts d'heure et destinés à explorer sur le mode d'une discussion semi-dirigée les thèmes suivants :

  • Quelle est leur perception de leur vieillesse et de leur état de santé ?
  • Que connaissent-ils des directives anticipées ? Quel intérêt pour ce concept ? Quel contenu à des directives anticipées, s'il fallait en écrire ?
  • Quelle conception du temps qui reste ? (vie en maison de retraite, perception de la dépendance...)
  • Quelles attentes vis-à-vis de la médecine ? (craint-on la douleur, l'acharnement thérapeutique ? quelle confiance en la médecine ...)
  • Parler de sa propre mort ? Des choses à dire sur l'euthanasie ?
  • Prépare-t-on sa mort sur d'autres aspects : testament, obsèques ?
  • Quelle place pour la religion vis-à-vis de ce thème de la mort ?


Au-delà donc d'un questionnement précis sur les directives anticipées, il s'est agi de comprendre au mieux le positionnement de personne enquêtée face à la question générale de sa fin de vie.

Il faut noter des limites à la méthode :

  • L'échantillon ne peut être considéré comme représentatif de l'ensemble de la population : par exemple le recrutement est exclusivement parisien, il est possible qu'en province ou en milieu rural, les réponses aient été différentes.

  • Par ailleurs, nous n'avons rencontré que des gens volontaires pour nous parler.

  • Enfin, le fait de ne s'intéresser qu'aux personnes âgées ne permet pas de tirer des conclusions générales sur le concept des directives anticipées.



Synthèse des résultats de l'étude

  • 186 entretiens on été menés dans le cadre de cette étude entre Janvier 2009 et Décembre 2010.


Parmi les personnes enquêtées,
* 42% étaient des hommes et 58% des femmes,
* ils avaient en moyenne 83,5 ans (73-101).

À noter qu'il y a eu 40 refus.
10% de ces entretiens ont été moins poussés que nous l'aurions voulu, souvent parce que le sujet était perçu par les enquêtés comme trop agressant.

  • En ce qui concerne le sujet des directives anticipées, le message massif est un désintérêt pour le concept.


Hormis les adhérents à l'ADMD, 90 % disent ne pas connaître le concept.

Surtout, une fois qu'il leur est expliqué dans le cadre de l'entretien, 83 % disent qu'ils ne sont pas intéressés et qu'ils ne s'en saisiront pas.
Pour 42% de ceux-là, ce n'est pas une mauvaise idée mais elle ne les concerne pas : ils ont quelqu'un qui pourra dire pour eux, c'est trop tôt, c'est trop compliqué, etc.
Pour 36%, c'est une mauvaise idée parce qu'inutile (les choses ne se présenteront pas comme prévues), dangereuse (ce serait donner un blanc-seing aux médecins pour arrêter de traiter), inappropriée (ce n'est pas à moi de dire mais à la nature ou à Dieu).
Enfin, 22% ne rentrent pas dans la discussion, soit qu'ils n'aient pas envie d'anticiper, soit qu'ils refusent de parler plus avant de ce sujet précisément.

28 personnes disent s'intéresser aux DA, dont 5 sont en fait proches de l'ADMD même s'ils n'ont pas été recrutés par le canal de l'association pour cette étude. 10 ont déjà écrit et 18 disent qu'ils le feront peut être à l'issue de l'entretien.
Mais aucun n'est très au clair sur ce qu'il convient d'écrire, tout au plus écrivent-ils ou écriraient-ils : « pas d'acharnement thérapeutique », sans plus de précision.

Les adhérents de l'ADMD (19) ont tous écrit des directives anticipées.
Mais 14 n'ont fait pour cela que signer la carte pré-rédigée de l'ADMD ; 5 seulement ont écrit en plus soit pour préciser par exemple ni ventilation, ni nutrition artificielles, soit pour restreindre le champ en demandant que l'on essaye quand même la réanimation avant d'arrêter tout.

Les raisons qui poussent à écrire ou à s'intéresser aux directives anticipées sont identiques dans tous les groupes y compris dans l'ADMD.
Il s'agit souvent d'arguments cumulatifs : c'est moi qui décide de ma fin de vie (80%), je le fais pour que la décision ne pèse pas sur mon entourage (20%), pour guider la médecine (10%), parce que je suis seul et que je ne peux compter sur personne pour dire à ma place le moment venu (5%), pour ne pas souffrir (5%).
Surtout, il est frappant de constater que ceux qui sont intéressés par les directives anticipées se caractérisent tous par une même forme de personnalité que l'on pourrait qualifier de particulièrement « autonomiste ».
Ils ont toujours été et veulent continuer d'être les décideurs de leur vie.

À noter un fait important : il n'y a aucune corrélation entre l'état de santé objectif des personnes rencontrées, le fait pour eux de se sentir vieux et/ou malade et l'intérêt qu'ils portent ou non aux DA.

Enfin, ils ne préparent pas plus les autres aspects de leur mort (testament, obsèques).
Et si 60% se disent croyants, ils ne sont que 30% à considérer que ceci ait une influence particulière sur ce qu'ils ont à dire au sujet des conditions de leur fin de vie ou de leur mort.

  • Au-delà du sujet des directives anticipées, les autres messages de l'étude concernant la façon dont ces personnes voient leur fin de vie ou parlent de la mort sont les suivants :


- Nous ne nous sentons ni vieux, ni malades.
- Nous voulons vivre encore, le mieux et le plus longtemps possible.
- Nous ne voulons vraiment pas aller en maison de retraite.
- Notre qualité de vie actuelle nous convient, merci de tout faire pour nous aider à la conserver ainsi.
- Nous avons confiance dans la médecine pour cela.
- Nous voulons qu'elle ne baisse pas les bras trop tôt et qu'elle continue de nous traiter au maximum de ses possibilités.

  • En synthèse, la préoccupation la plus forte de tous ceux que nous avons rencontrés concerne le sens de la vie qui reste et non le sens de la mort.


Du reste, 70% ne s'expriment pas vraiment sur leur mort.
Par ailleurs, 40% ne répondent pas sur « euthanasie » et 40% de ceux qui s'expriment à ce sujet sont contre une loi.
Même dans le groupe ADMD, ils sont 30% à ne pas vouloir s'exprimer sur le sujet ou à ne pas souhaiter un changement de la loi à cet égard.

Pour autant, ils sont 10% de la population générale (60% des adhérents de l'ADMD) qui s'expriment dans le sens d'une « aide active à mourir ».
Ceux-là, pour la plupart adressent cette demande à la médecine : ils voudraient que les médecins puissent leur délivrer la mort en toute fin de vie, dans le cadre de leur exercice quotidien et de leurs bonnes pratiques, comme si cela faisait partie de leur fonction naturelle.

Cette demande est-elle compatible avec l'idée que la médecine se fait d'elle-même ?
Est-il souhaitable socialement d'y répondre ?
En toute hypothèse, elle apparaît assez différente de l'aide active à mourir telle qu'elle a été légalisée dans d'autres pays.

Enfin, rares sont ceux dans notre échantillon qui disent qu'ils voudraient bien devancer la date de la mort « naturelle » pour éviter le pire (« la déchéance consciente »).
Et parmi ceux-là, beaucoup s'interrogent sur le moment : « Anticiper, oui, mais quand ? Le moment, c'est quand cela bascule dans l'invivable... oui mais c'est quand ? »

À noter que 70% de ceux qui sont intéressés par les directives anticipées et 90% de ceux qui disent qu'ils souhaiteraient une aide active à mourir au moment ultime sont des femmes.

À noter aussi que 10% de la population enquêtée est apparue comme au-delà des préoccupations explorées par cette enquête : il s'agissait là encore souvent de femmes (75%), d'une moyenne d'âge plus élevée (88 ans), faisant partie soit du groupe Alzheimer, soit du groupe « maison de retraite ».
Elles exprimaient une grande passivité et résignation, elles semblaient indifférentes à la mort, ou l'attendant, mais ayant perdu les moyens éventuels de la demander.

En conclusion...

Un certain nombre d'hypothèses peuvent être apportées pour expliquer le peu d'intérêt pour le concept de directives anticipées :

  • soit qu'il s'agisse d'un concept peut être encore trop récent ;
  • soit qu'il y ait dans l'étude un effet « génération » : on se serait adressé à une génération encore très respectueuse du pouvoir et du savoir médical et peu militante en matière d'autonomie.


Il se pourrait aussi qu'il y ait un effet « âge » : on ne penserait pas sa fin de la même façon à partir d'un certain âge.

Enfin, il se pourrait aussi que la réponse apportée par les directives anticipées soit inadaptée au regard des besoins.

Le peu de succès que rencontre ce concept dans les pays anglo-saxons qui l'ont adopté officiellement il y a bientôt 20 ans pourrait le laisser penser.


Est-ce une raison pour supprimer le dispositif ?

Il nous semble que non parce qu'il y a quand même 20% des gens qui sont intéressés et écrivent ou veulent écrire des directives anticipées.
Et parce que d'autres sont prêts à exprimer des choses importantes concernant leur fin de vie, dont ils pensent qu'elles ne relèvent pas de directives anticipées, mais qui pourraient tout à fait à notre avis en relever comme par exemple :
« Je veux de l'acharnement thérapeutique »,
« Je ne veux pas d'arrêt d'alimentation et d'hydratation »,
« Je veux donner des directives de vie : surtout jamais de maison de retraite » ...

Enfin, il nous semble que de façon générale la plupart sont intéressés par l'occasion d'une discussion libre sur ce sujet de la fin de vie.
En effet, c'est à l'évidence un sujet qui habite les pensées des personnes de cet âge et elles n'ont pas tant que cela l'occasion d'en parler avec leur entourage.
Leurs proches ou leur médecin ne semblent pas toujours les mieux placés à leurs yeux pour cela.
Elles nous ont manifestés qu'elles étaient heureuses de cette occasion qui leur était offerte de pouvoir en parler à voix haute avec un tiers, dans une discussion sans enjeu ...
Comme si cela les libérait et leur permettait de tester vraiment l'endroit où elles en sont de leurs pensées sur ce sujet.

C'est pourquoi nous ferions volontiers une proposition : que soit systématiquement proposé un entretien aux personnes âgées avec un tiers à un moment-clé de leur histoire de vie : entrée en maladie chronique, ou entrée en maison de retraite par exemple, la discussion portant sur le sens du temps qu'il reste à vivre.



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