Les petits frères des pauvres: Tribune libre par Jean-François Serres

Face à l’isolement et la pauvreté des personnes âgées, un engagement citoyen s’impose

Publié le 01 octobre 2009

    L’augmentation du nombre de personnes du grand âge associée au phénomène d’individualisation des modes de vie aboutit à ce qu’un grand nombre d’entre elles aborde le vieillissement dans la plus profonde solitude. Les familles dispersées en foyers atomisés ont du mal à entourer leurs aïeux. L’allongement de l’espérance de vie transforme d’autre part structurellement la société en faisant se côtoyer 4 voire 5 générations, multipliant le nombre des centenaires, déséquilibrant le rapport entre actifs et inactifs, augmentant le nombre de personnes en perte d’autonomie, faisant peser sur des personnes de 70 ans l’accompagnement de leurs parents de 95 ou cent ans… C’est le pacte entre générations qui est à réinventer. La protection sociale qui épousait la distribution traditionnelle entre trois temps de la vie (la formation pour les jeunes, le travail pour les adultes et la retraite pour les vieux) est frappée d’obsolescence.

    Arrivent aujourd’hui à la retraite des personnes qui n’ont pas bénéficié des effets d’enrichissement des trente glorieuses. Elles ne sont pas propriétaires de leur logement, n’ont ni capital personnel, ni retraite suffisante. La pauvreté des personnes âgées risque fort de redevenir une réalité dans notre pays.

    La précarisation grandissante de leurs ressources matérielles et sociales va donc encore renforcer et alimenter l’isolement des personnes âgées. Des situations de solitude profonde se multiplient de manière invisible, dans un environnement indifférent. Les personnes âgées qui souffrent ne se font pas connaître, ne se manifestent pas et manifestent encore moins.

    Depuis le drame de la canicule de 2003, l’isolement dans lequel notre société enferme les personnes âgées est un sujet qui interpelle l’opinion. Toutefois, la prise de conscience n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Le plan de préparation à la pandémie de grippe met en évidence la fragilité du tissu de sécurités proches organisé par les politiques publiques.

    Dans l’éventualité d’une pandémie de grippe A (H1N1) cet automne ou cet hiver, on assisterait à une large désorganisation des services à la personne : certains estiment qu’il y aurait autour de 70% d’absentéisme au plus fort de la pandémie. Les personnes âgées risquent de se retrouver dans une situation d’isolement critique si les services à domicile sont en partie suspendus (soins à domicile, livraison de plateau repas etc.). Par ailleurs des personnes fragiles risquent de se retrouver impuissantes si des symptômes de grippe surviennent, en particulier celles qui sont dans des situations de grande précarité ou qui présentent des terrains à risque (affection de longue durée, problèmes respiratoires, pathologies préexistantes etc.). La question posée au monde associatif par la DGAS est donc bien celle d’organiser la solidarité de la société civile pour pallier la désorganisation des services.

    Sans occulter les débats sur les nécessaires garanties de l’État pour s’assurer du risque de perte d’autonomie ou sur l’équilibre des caisses de l’assurance vieillesse, il y a une véritable alerte à lancer sur l’état de notre tissu social. La honte de ne plus pouvoir faire face entraîne puis enferme des personnes âgées dans un processus de « taudification » qui rend leurs conditions de vie indignes sans même que le voisinage proche, voire leur propre famille, n’en ait connaissance. Comment vivre dans une société qui nous entraîne à accepter ce type de situation ! A force qu’augmentent la vulnérabilité, l’isolement et l’invisibilité des personnes âgées, on constate peu à peu qu’elles perdent leur accès aux droits, aux ressources, aux aides, aux logements, aux informations, à la dignité, à la parole et finalement tout simplement à l’autre et donc à l’existence !

    Il s’agit là d’un enjeu d’action civique : celui de cultiver la fraternité, d’en inventer des formes nouvelles et proches. C’est bien de relation humaine et gratuite dont nous voulons parler. Comment pouvons-nous être, dans notre société, d’une façon nouvelle, le prochain de quelqu’un ? C’est de cela dont il s’agit et non seulement du financement de professionnels d’action sociale. Il est temps de s’organiser, de s’entraider, de partager moyens, temps, énergie et compétences pour changer la vie de nos quartiers et de les rendre accueillants pour nos vieux.

    Mais nos modes de relation se déterritorialisent et nous vivons nos engagements dans un ailleurs qui est inaccessible aux personnes âgées dont les capacités de mobilité s’amenuisent. Alors que leur vie sociale se resserre sur leur quartier, puis se restreint à leur rue, voire leur palier ou leur logement, nos propres capacités s’accroissent et nous mettent en mouvement bien au-delà de notre palier sur la France, l’Europe voire le monde entier. Nous passons à côté d’elles, préoccupés par d’autres horizons, déshumanisés malgré nous, alors que ce serait justement dans cette proximité qu’elles devraient pouvoir trouver une relation d’alter ego pour ne pas être « mises hors circuit ».

    Les « corps intermédiaires » peuvent agir au plus près, pour « aller vers » ceux qui sont entraînés dans la spirale de l’isolement, soutenir les aidants, conforter les actions de voisinage, organiser le bénévolat d’accompagnement, mobiliser les jeunes en service civil volontaire… à condition qu’ils expérimentent, réfléchissent, changent, s’ouvrent aux débats démocratiques en leur sein et à la participation de tous, accueillent les engagements souples et s’organisent pour favoriser l’initiative au plus près de terrain. L’espoir est sans aucun doute dans les associations, les ONG, les regroupements de citoyens. C’est en leur sein que se construit quelque chose de la politique, que la politique ne peut atteindre et c’est par des coopérations vivantes, dynamiques et respectueuses entre collectivités territoriales, familles et associations que l’on réussira ensemble à changer la tendance, à mieux prendre soin de nos vieux et à retrouver la fierté intime et collective qu’apporte l’exercice de la fraternité.


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