Interview du Docteur Jean-Marie VETEL, Médecin gériatre co-inventeur des outils AGGIR et PATHOS, Directeur médical du groupe GDP-Vendôme

Point sur les référentiels AGGIR et PATHOS, l'intégration des médicaments dans le budget soins des EHPAD, l'avenir des EHPAD...

Publié le 25 juillet 2013


Médecin gériatre, ancien Chef de Service de Gériatrie du CH du Mans, votre expertise est reconnue au plan national.

Vous avez notamment été chargé de mission pour l’élaboration des outils d’évaluation et de tarification gériatriques que sont la grille AGGIR et PATHOS, puis pour la formation à l’utilisation de ces outils par les intervenants et professionnels de terrain.

Capgeris

Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Interniste à Paris, j’ai occupé le poste de Chef de Service de Gériatrie du CH du Mans de 1980 à 2006, avant d’être sollicité par le Ministre de la Santé et des Solidarités, Philippe BAS, pour organiser, au plan national, un dispositif pédagogique, suite à la mise en place des outils de tarification gériatriques (AGGIR et PATHOS).
Un dispositif de formation qui concernait à la fois les évaluateurs (soit environ 10.000 EHPAD et USLD) et les contrôleurs (médecins au sein des ARS).

Aujourd’hui, j’occupe les fonctions de Directeur Médical au sein du Groupe GDP Vendôme.

Capgeris

Diriez-vous que nous sommes aujourd’hui en mesure de faire face, dans notre pays, au vieillissement de la population et toutes les contraintes y afférentes, tant en matière de soins que de perte d’autonomie ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Globalement oui, même si la prise en charge des personnes âgées, en matière de perte d’autonomie et de soins n’est pas équivalente dans chaque département et dans chaque EHPAD.
Je dirais qu’elle évolue, selon les lieux, entre médiocre et convenable.
On pourrait assurément faire mieux.

L’objectif du Plan Solidarité Grand Âge présenté en 2006, de 1 agent pour 1 personne âgée pour les établissements accueillant les résidents les plus dépendants, est loin d’être atteint.

Le problème demeure donc l’inégalité territoriale et une qualité variable.

A noter, à cet égard, que si le secteur privé commercial des EHPAD pratique des Tarifs Hébergement plus élevés que le secteur public, il accueille en contrepartie souvent des résidents plus lourds, en raison de son impératif de taux d’occupation, et finance dès lors sur son budget hébergement des postes de soins insuffisants....

Capgeris

Vous êtes membre du Comité scientifique des référentiels AGGIR et PATHOS, institué par arrêté du 31 octobre 2011.
Cette instance est chargée d’organiser l’audit, la maintenance, le développement, l’harmonisation et l’évolution de ces référentiels.

Pouvez-vous nous décrire le rôle et les missions de ce Comité ?

Docteur Jean-Marie VETEL

En ce qui concerne l’évolution de ces référentiels, il convient de noter que les deux outils AGGIR et PATHOS, et surtout PATHOS, ont connu des adaptations de codage successives depuis 10 ans.

PATHOS est aujourd’hui en cours de refonte et cela devrait durer un an.
En effet, les stratégies thérapeutiques sont à réécrire et les quelque 260 ordonnances doivent être actualisées : les médicaments ont changé, les génériques sont arrivés, certains examens complémentaires, comme le scanner, n’occupent plus la même place et il convient donc d’adapter les stratégies thérapeutiques en conséquence.

Capgeris

Depuis leur mise en place, diriez-vous que l’évolution de ces outils d’évaluation a progressé et dans le bon sens et permettent aujourd’hui une bonne appréhension de la charge en soins et dépendance des établissements ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Oui, assurément, ces outils décrivent bien la perte d’autonomie et les besoins médicaux et techniques REQUIS des personnes âgées et ces outils produisent un certain nombre de points de soins médicaux et techniques.

Tout le débat repose en revanche sur le problème de la valeur du point, fixée annuellement par la Ministre.
Il existe un delta entre la valeur souhaitable - les soins étant évalués selon les bonnes pratiques cliniques - et la valeur effectivement fixée, en fonction de contraintes budgétaires.
La valeur du point repose sur un arbitrage, de nature politique.

Capgeris

Parmi les sujets liés à la médicalisation des EHPAD et qui ont mobilisé le secteur au cours de ces dernières années, la (ré-)intégration des dépenses de médicaments et de dispositifs médicaux dans le budget soins des EHPAD a fortement mobilisé les autorités et acteurs et suscité des craintes de la part des gestionnaires d’établissements notamment.

Quelle est votre position sur cette problématique, suite à l’évaluation de cette expérimentation réalisée en 2012 ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Il convient de distinguer deux dossiers :

  • La réintégration des Dispositifs Médicaux (DM) est un concept accepté, qui n’a pas fait trop de « vagues » lors de sa mise en place.

  • La réintégration des médicaments est un autre sujet qui soulève plusieurs questions qui peuvent poser problème :

    - Comment déterminer la taille de l’enveloppe à allouer par an pour chaque EHPAD ?

    A priori, l’outil PATHOS réactualisé permettrait d’y répondre et cela est une piste à creuser.
    Le problème, c'est que, sur le terrain, en vraie vie, la qualité des prescriptions médicamenteuses en EHPAD pose question.
    Les dépenses médicamenteuses en EHPAD sont parfois "délirantes" et il existe de gros écarts d'un établissement à l'autre : le rapport va de 1 à 3 !
    Le coût journalier varie de 4€/j/résident à 10€/j/résident, pour des malades équivalents et sans justifications.
    C'est un vrai sujet !

    Le concept d’une enveloppe semble donc parfaitement légitime, car la qualité des prescriptions ne viendra que de l'existence d'une contrainte financière (si elle reste raisonnable).

    - TOUTEFOIS, l’enveloppe va être allouée au Directeur de l’établissement qui n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les médecins généralistes libéraux intervenant dans sa structure.
    Or, la question qui se pose ici est de savoir si l’on veut vraiment imposer des contraintes aux médecins.
    Le Conseil de l’Ordre des Médecins aujourd’hui s’y oppose, en vertu de la liberté de prescription des médecins.

    - Il existe donc une contradiction : la contrainte permettrait, de mon point de vue, une amélioration de la qualité, mais il faudrait pour ce faire que le directeur de l’établissement puisse disposer d’un certain pouvoir sur les médecins (respect d'une liste positive de médicaments, respect budgétaire).

    Le pouvoir politique a-t-il le courage d'imposer un tel dispositif face aux multiples lobbies qui y sont opposés ??

    - Quoi qu’il en soit, la qualité de la prescription médicamenteuse en EHPAD aujourd’hui est mauvaise et la seule question à se poser est de savoir s’il convient de privilégier les médecins ou la qualité des soins aux malades.

Capgeris

Le bilan semble mitigé : pensez-vous que ce projet ait une réelle chance d’aboutir et à quelles conditions ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Je suis assez pessimiste sur ce dossier.
Les ministres, Marisol TOURAINE et Michèle DELAUNAY, ont confié en novembre 2012 au Directeur adjoint du CHU de Limoges, Philippe VERGER, une nouvelle mission sur la prise en charge médicamenteuse des résidents en EHPAD.

D’autres chargés de mission ont préalablement échoué :

  • Pierre-Jean LANCRY, Directeur Général de l’ARS Basse-Normandie [chargé de mission – Mission préparatoire à l’expérimentation de la réintégration du budget médicaments dans le forfait soins des EHPAD – août 2009).

  • Pierre NAVES (IGAS) et Muriel DAHAN (Conseillère Générale des Etablissements de Santé) de l’Inspection Générale des Affaires Sociales [auteurs du Rapport d'évaluation de l'expérimentation de réintégration des médicaments dans les forfaits soins des EHPAD sans pharmacie à usage intérieur – septembre 2010].

  • Michel THIERRY (IGAS) qui a élaboré un rapport très lucide sur le sujet et proposé des pistes pour avancer.


Le problème reste désormais politique et pas technique.

A noter par ailleurs que les médicaments ne constituent pas, loin de là, le plus gros poste du budget soins des EHPAD et qu’il n’est pas si important, au regard des charges de personnel.
C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles cette problématique ne trouve pas plus d’écho.

Capgeris

La maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés comptent au nombre des facteurs ayant nécessité la médicalisation des EHPAD.

Pensez-vous que les modalités de prise en charge des résidents souffrant de cette maladie sont aujourd’hui adaptées aux besoins des patients hébergés en EHPAD ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Les choses ont bien progressé depuis 10 ans.

Il y a 10 ans, on ne connaissait pas grand-chose à la maladie et à sa prise en charge, notamment pour ce qui concerne les troubles du comportement, qui ne sont en fait souvent que réactionnels.

Il convient de rappeler qu’un malade Alzheimer, à un stade modéré, ne sait pas où il est, ne reconnaît pas les personnes qui l’entourent et ne comprend pas ce qu’on lui veut.
Si on ne s’adresse pas à lui de manière adaptée, on peut déclencher des réactions, parfois agressives.

Par exemple, si on ne lui explique pas calmement et clairement, et après avoir obtenu son accord, qu’on veut lui donner un bain, la toilette risque d’être perçue comme une tentative de le noyer et il ne sera pas étonnant qu'il proteste vigoureusement.

La formation du personnel à la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer a apporté de réels progrès en lui enseignant une sorte de « permis de se conduire avec un patient Alzheimer ».

Les Unités Alzheimer sont aujourd’hui acceptées et cela constitue également un progrès.
L’idée d’un espace clos, mais de liberté, est aujourd’hui admise et non plus assimilée à une sectorisation abusive.
Avec une architecture adaptée, la mise en place d’espaces de déambulation, la création d’espaces suffisamment vastes et un personnel formé, on règle 80% des problèmes.
Cela permet en outre un moindre recours aux neuroleptiques.

Par ailleurs, pour prendre en charge des patients Alzheimer, il faut du personnel.
Or les bras coûtent cher et bien plus que les médicaments !
Le taux d’encadrement de 1 agent / lit est loin d’être atteint puisque l’on compte en moyenne aujourd’hui 0.60 agent / lit.
Ce trou de 0.40 conduit à un usage de médicaments sédatifs, faute de bras.

Capgeris

Le plan Alzheimer 2008-2012 a permis de réels progrès en la matière, avec notamment la création d’unités adaptées au sein des EHPAD (Accueil de Jour, PASA, UHR), le développement de compétences spécifiques pour les soignants (formation d’Assistants de Soins en Gériatrie), ou encore l’amélioration de l’usage des médicaments…

- Quel bilan établissez-vous pour ce plan Alzheimer ?
- Un nouveau plan est-il en cours et quelles sont, de votre point de vue, les points à améliorer et les nouveaux axes restant à explorer ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Le Plan Alzheimer n’est pas à l’origine des Unités Alzheimer qui existaient déjà.
Il a simplement permis la création de PASA (Pôle d’Activités et de Soins Adaptés) et d’UHR (Unités d’Hébergement Renforcées) qui ne constituent pas une révolution.
L’objectif était davantage orienté vers la stimulation cognitive.

En ce qui concerne les PASA, les 64.000 € alloués par an pour le fonctionnement d’un PASA (qui correspond au forfait plafond annuel pour 14 places de PASA), avec un objectif global à terme de 25.000 places de PASA, ont permis à ce jour la création de 1 à 2 postes par établissement candidat.
Un simple coup de pouce !

En ce qui concerne, un nouveau Plan Alzheimer, il n’en existe pas à ma connaissance aujourd’hui.
Le projet de création de PASA et d’UHR continue, jusqu’à épuisement des crédits.

Capgeris

Vous occupez aujourd’hui le poste de Directeur médical d’un groupe d’EHPAD privé, Dolcéa - GDP Vendôme.

En quoi consiste votre mission au sein du groupe et quels rapports entretenez-vous avec les équipes médicales et soignantes des établissements ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Le poste de Directeur Médical est une création au sein du groupe Dolcéa – GDP Vendôme, en raison de l’accroissement du niveau de dépendance et de la charge en soins des établissements.

Parmi les missions réalisées ou en cours, je citerai :

  • L’élaboration d’une liste positive de médicaments pour l’ensemble des établissements, établie sur la base des travaux réalisés par l’ARS de Basse-Normandie.

  • La mise en place d’un système sécurisé de suivi du médicament au sein des établissements, avec le choix de MEDISSIMO permettant une livraison sous blister pour plus de sécurité et de traçabilité.

  • En ce qui concerne les dispositifs AGGIR et PATHOS, la mise en place d’une évaluation trimestrielle au sein des établissements.

  • Le choix d’un dispositif informatisé avec la société MEDGIC, permettant l’homogénéisation du fonctionnement médical du groupe, avec un dossier incluant le dossier médical, le dossier de soins et le projet de soins et de vie personnalisé.


L’ensemble de ces missions visant à une homogénéisation du fonctionnement médical des établissements du groupe et à fédérer l'équipe de directeurs, de médecins, d'IDEC, autour d'une organisation et d'un projet communs.

Capgeris

Pourquoi avoir accepté cette nouvelle mission et pourquoi Dolcéa – GDP Vendôme ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Je devais prendre ma retraite mais je n’avais pas envie de m’arrêter.

Chargé de cours à Sciences Po, j’ai rencontré des collaborateurs du Président, Jean-François GOBERTIER, qui m’ont orienté vers lui.

J’occupe actuellement un poste de Directeur Médical à mi-temps et les projets à mettre en place sont fort stimulants.

Capgeris

Comment définiriez le rôle et les missions d’un Directeur Médical au sein d’un groupe d’EHPAD et pensez-vous qu’un tel poste est aujourd’hui indispensable ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Si l’on regarde aujourd’hui les grands groupes, ils disposent tous d’un Directeur Médical (voir KORIAN, ORPEA ou encore DOMUSVI, etc.).
Le Directeur Médical constitue pour moi le « chef d’orchestre médical » du groupe qui permet d’éviter l’écueil d’une dispersion et d’un manque d’homogénéité au sein des établissements du groupe.

Capgeris

En conclusion

Comment percevez-vous l’avenir des EHPAD :

- Ces structures sont-elles amenées à évoluer et, le cas échéant, dans quelle direction ?

- Faut-il repenser l’EHPAD de demain ou envisager sa disparition ?

Docteur Jean-Marie VETEL

Une dérive dangereuse serait de faire des EHPAD, des hôpitaux de 2nde catégorie.
Les hôpitaux ont été pointés du doigt parce qu’ils ne s’occupaient pas correctement des personnes âgées et l’on a donné plus de moyens aux EHPAD pour qu’ils prennent le relais et assurent cette prise en charge.

Or, un EHPAD n’égalera jamais un hôpital, tant en matière d’organisation que de présence, 24h/24, de médecins et d'infirmières.

Le grand danger pour l’EHPAD est double :

  • Devenir un "hôpital local" sans la qualité en raison d’un manque de moyens.

  • Ne plus répondre aux attentes des futures générations de personnes âgées, désireuses d’un soutien à domicile plutôt que d’un hébergement en EHPAD.
    Tant que la perte d’autonomie demeure physique, le soutien à domicile est possible.
    Seules les personnes atteintes de maladies telles que la maladie d’Alzheimer, présentant des risques de fugues, devraient nécessiter un transfert vers une structure.

 
De mon point de vue, l’évolution des EHPAD devrait se faire vers des établissements :

  • Soit, tout Alzheimer, comme il commence à en apparaître.
  • Soit, mixtes, pour l’accueil de personnes âgées en perte d'autonomie plus ou moins importante, mais surtout souffrant de solitude et ne souhaitant pas rester chez elles, et les personnes atteintes de la maladie Alzheimer ou d’un syndrome apparenté.

 

Le groupe GDP – Vendôme a développé un concept qui va dans ce sens et me paraît répondre parfaitement aux besoins des personnes âgées désireuses de rester à domicile.

Il s’agit de la Villa Sully, qui propose des appartements gériatriques adaptés et faisant appel aux gérontechnologies et à la domotique.
Non seulement l’appartement est gérontologiquement bien conçu, mais il est également évolutif en fonction de l'aggravation de tel ou tel handicap.

La résidence dispose en outre d’une conciergerie intelligente, permettant l’adaptation, en fonction du temps, aux besoins de chacun.
Entre les appartements situés dans les étages et le pôle santé localisé au rez-de-chaussée, elle fait le lien.

La Villa Sully s’adresse à une clientèle âgée de 70 à 75 ans, encore quasi autonome à l'entrée, ayant déjà connu, le cas échéant, un petit ennui de santé, et souhaitant anticiper son avenir en se donnant les moyens techniques de rester à son domicile pendant au moins une dizaine d’années, afin d’éviter tout déménagement.

L’ouverture de la première Villa Sully est prévue pour début 2014.


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