Adaptation de l'habitat & logements sociaux : interview de Madame Muriel BOULMIER...

...experte reconnue au plan national, mais également à l’échelle européenne, sur la question du vieillissement à domicile.

Publié le 20 mai 2013

Madame BOULMIER est l'auteur de deux rapports de missions ministérielles sur le vieillissement, élaborés à la demande de Benoist Apparu, alors Secrétaire d’Etat au Logement :

  • « L’adaptation de l’habitat au défi de l’évolution démographique : un chantier d’avenir », remis en octobre 2009 et publié par La Documentation Française en 2010.
  • « Bien vieillir à domicile : enjeux d’habitat, enjeux de territoires », remis en juin 2010 (puis actualisé pour être publié par La Documentation Française, 2012), et visant à étudier la faisabilité de certaines des propositions du premier rapport.

 

C’est dire si le thème de l’adaptation de l’habitat au vieillissement démographique lui tient à cœur !

En tant qu’experte reconnue au plan national, mais également à l’échelle européenne, sur la question du vieillissement à domicile, notre rédaction a souhaité interroger Madame BOULMIER, dans le contexte actuel de réflexion et de réforme, tant pour ce qui concerne la dépendance que le logement social.

Capgeris

Vous êtes présentée comme une experte du vieillissement actif : pouvez-vous nous préciser ce que cette expression recouvre ?

Muriel Boulmier

Il y a un temps entre la cessation d’activité et la vieillesse. 27 ans selon l’OCDE. Ce temps-là correspond à une nouvelle génération intermédiaire : les 60-75 ans, actifs et autonomes, et les 75-85 actifs malgré quelques altérations dues à l’âge.
Les « statistiques de la vieillesse » établissent celle-ci à plus de 85 ans.
Alors oui, le vieillissement est actif, en ce sens que la personne vieillissante est non seulement acteur de sa propre vie, mais participe aussi à la vie de notre société à divers degrés : politique, économique, social, culturel, notamment.

Capgeris

Quelles sont les pistes à explorer, selon vous, pour mener à bien l’adaptation de l’habitat aux besoins et attentes des personnes vieillissantes ?

Muriel Boulmier

J’ai longuement détaillé les nécessités à mettre en œuvre à coût réduit, mais la première piste consiste à résister au déni de vieillesse, à combattre le risque de l’habitude, source de danger pour enfin entreprendre des travaux sécurisants.

Capgeris

En quoi l’adaptation de l’habitat constitue-t-elle, de votre point de vue, une priorité dans le cadre de la réflexion en cours devant aboutir à la réforme de la perte d’autonomie ?

Muriel Boulmier

Les maladies cognitives lourdes, sources de dépendance, sont difficilement compatibles avec un domicile.
Mais les accidents de la vie domestique, les chutes qui créent la dépendance accidentelle sont faciles à prévenir par des aménagements souvent de bon sens et peu coûteux : électricité, éclairage, salle de bains, wc, tapis, etc. représentent un coût global d’adaptation allant de 3 600 à 5 000€ quand le prix d’un hébergement en structure adaptée est de l’ordre de 2 200€ par mois.
Et que les ressources mensuelles moyennes des plus de 65 ans s’élèvent à 961 € par mois.
C’est dire que l’adaptation-prévention coûte moins cher aux familles et aux deniers publics.

Capgeris

Pensez-vous que l’adaptation de l’habitat suffise à répondre aux défis de la perte d’autonomie et quelles seraient les autres voies ou orientations à envisager ?

Muriel Boulmier

Non, l’adaptation seule est insuffisante pour une perte d’autonomie avérée.
Elle doit alors être complétée par des services à la personne, compétents et abordables.

Capgeris

Trois rapports ont récemment été remis au Gouvernement, en vue de la préparation de la loi d’adaptation de la société au vieillissement.
A cet égard, le rapport de Luc Broussy fait largement référence à vos précédents rapports.
Souhaitez-vous vous exprimer à ce sujet ?

Muriel Boulmier

D’emblée il m’a été signalé que les propositions émises dans mes rapports étaient abondamment reprises. Puis je l’ai constaté…
Ces propositions avaient été formulées en concertation avec les acteurs et professionnels du secteur, elles étaient donc en quelque sorte prêtes à l’emploi.

Capgeris

Comment entendez-vous participer à l’avenir à l’aboutissement de cette réforme ?

Muriel Boulmier

En poursuivant l’interpellation de ceux qui cultivent les raccourcis et les malentendus. Vieillir n’est pas vieillesse et vieillesse n’est pas dépendance !
De même, les « vieux » ne sont pas riches et ne se muent pas tous en globe-trotters sillonnant toute l’année les paradis exotiques.
Nombreux sont ceux qui soutiennent leurs enfants par des apports non financiers tels que la garde des enfants.
Ces transferts non monétaires sont tellement importants qu’ils sont déjà l’objet d’évaluations économiques.

Capgeris

Le Président de la République a récemment annoncé sa volonté de relancer et accélérer la construction de logements sociaux.
Que pensez-vous de cette décision et comment l’envisageriez-vous afin de répondre au mieux aux besoins ?

Muriel Boulmier

Le besoin de logements neufs est une réalité, pour autant tous ne sont et ne seront pas destinés aux personnes âgées.
Les plus de 60 ans, propriétaires à presque 75%, posent le problème majeur de l’adaptation des logements existants.

Pour l’adaptation des nouveaux logements, je suggère des équipements simples, efficaces (mitigeur, sonnettes visuelles, etc.) pour le confort partagé entre toutes les générations.
À même prix, ils permettent une rotation d’occupation moins stigmatisante que des logements estampillés « personnes âgées ».

Mais il y a 31 millions de logements en France, même avec 350 000 logements neufs dont 150 000 sociaux, le taux de renouvellement n’est que de 1% et les plus nombreux ne seront pas équipés.
L’enjeu prioritaire demeure bien les logements existants et occupés par les personnes âgées.

Capgeris

Les personnes vieillissantes comptent au nombre des personnes ayant des difficultés à se loger et cette tendance devrait hélas progresser. Quelles seraient vos préconisations pour apporter des réponses ou résoudre cette problématique ?

Muriel Boulmier

Les personnes en vieillissant rencontrent des difficultés d’ordres différents.
La première d’entre elle est pour la plupart une baisse du niveau de vie, accentuée chez les femmes âgées.
La deuxième peut tenir à la structure de leur logement. Je pense aux quartiers pavillonnaires suburbains avec un étage.
La troisième s’inscrit dans la proximité ou non des zones de services et des équipements (transports) publics pour y accéder.

C’est la raison pour laquelle le logement n’est qu’une partie de l’habitat, sa part privée, alors que l’adaptation nécessaire est aussi celle des espaces partagés, les parties communes de copropriétés par exemple, les halls d’immeubles, les quelques marches pour y accéder ; mais il en va de même pour l’espace public : l’éclairage, les transports, l’état des trottoirs, etc.

C’est la fluidité de ces trois espaces (privé, partagé, public) qui garantit l’autonomie et diminue donc la difficulté à se loger.

J’entends que les grands logements occupés par des couples ou des personnes seules devraient être laissés à des familles nombreuses.
Mais répondre à la question « déménager pour aller où et à quel prix ? » sera la solution.
En laissant de côté les exemples illustratifs d’exception, tout déménagement a un coût ; et même un logement plus petit mais plus récent a un coût supérieur.

Capgeris

La ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie et le ministre du Redressement productif ont récemment lancé la filière de la Silver Economy.

  • Que pensez-vous de cette initiative ?
  • Pensez-vous qu’elle puisse avoir un impact positif sur la politique relative au logement et à l’habitat ?

Muriel Boulmier

La Silver Economy est le grand marché promis des populations vieillissantes dotées d’un pouvoir d’achat.
Il demeure un espoir car s’il n’a pas encore rencontré massivement les consommateurs, il peut-être créateur d’emplois et moteur pour l’innovation.
Il se décompose en services et biens de consommation.

Mais encore faudrait-il que les retraités conservent un certain pouvoir d’achat…
Et que produits et filières s’inscrivent dans un marché abordable.

Alors je conserve cet espoir d’efficacité pour les personnes âgées, les aidants familiaux et professionnels.
Mais de toute évidence, ces produits devront passer par une étape d’évaluation via une autorité indépendante.
Il est temps de quitter l’ère de l’expérimentation, qui existe depuis si longtemps, et j’exagère à peine en disant que si on en additionnait les coûts, on aurait presque eu de quoi bâtir une politique.

Capgeris

Votre intérêt, votre implication et votre expertise dans les domaines du logement et de l’habitat dépassent le seul cadre national et vous intervenez également au niveau européen.

  • Serait-il possible, selon vous, de nous inspirer des politiques publiques mises en œuvre dans ces domaines par les autres pays de l’union européenne ?

Muriel Boulmier

C’est un sujet passionnant car il est lié aux cultures de chaque pays même si des solutions se recoupent.
Il y a d’ailleurs une évolution des positions de la Commission européenne ; le sujet s’est invité au Parlement européen dans le cadre du débat très médiatisé sur son budget, le vieillissement prenant sa place dans les fonds structurels.

Capgeris

  • Quels pourraient être les modèles à retenir ?

Muriel Boulmier

Entre les pays scandinaves, les États du Sud, la France, chacun ayant à faire face au vieillissement de sa population, la différence s’établit autour de la natalité.
Le 3ème forum démographique de l’UE, auquel j’étais invitée par la Commission, a mis ce point en exergue lors de son ouverture par Laszlo Andor.




Interviews


Interviews au cœur des maisons de retraite

Besoin d'informations ?

Un conseiller vous recontacte gratuitement




© Australis 2024 - Tous droits réservés.  //  Gestion des cookies